Portrait d’acteurs 6 : Isabelle Salse – Groupe Cassous | ERC NA

Portrait d’acteurs 6 : Isabelle Salse – Groupe Cassous

Interview – Isabelle Salse
Portrait d'Isabelle Salse
Portrait d’Isabelle Salse

Je suis Isabelle Salse, directrice des relations extérieures du Groupe Cassous, que j’ai intégré en 2018. Je coordonne les relations institutionnelles et partenariales du groupe, tout en gardant une responsabilité opérationnelle sur nos grands projets d’aménagement foncier et de promotion immobilière.

Le groupe Cassous, entreprise familiale implantée depuis plus de 60 ans en Nouvelle-Aquitaine, compte aujourd’hui 46 filiales et près de 1 500 collaborateurs.

Historiquement centré sur les travaux publics, il s’est diversifié dans les métiers de la construction, de la déconstruction, de la dépollution, de la valorisation des déchets et de l’aménagement foncier et de la promotion immobilière.

Mon rôle consiste à veiller à ce que nos projets intègrent pleinement les enjeux environnementaux, en particulier ceux liés à la biodiversité, à l’eau et à la séquence Éviter – Réduire – Compenser (ERC).

La séquence Éviter – Réduire – Compenser (ERC) est aujourd’hui intégrée à toutes nos opérations d’aménagement et structure notre méthode de travail. Elle a profondément transformé nos pratiques, bien au-delà de la simple logique paysagère qui prévalait encore il y a vingt ans.

Évitement : Dès l’acquisition foncière, nous procédons à un diagnostic écologique complet, souvent sous la forme d’un inventaire quatre saisons, même lorsque la réglementation n’y oblige pas. Cette expertise nous permet d’identifier les zones à enjeux – zones humides, corridors écologiques, boisements, prairies, espèces protégées ; et de définir les surfaces à sanctuariser. En pratique, nous considérons qu’entre 20 et 30 % de chaque site doivent être exclus de l’aménagement. Cette anticipation est indispensable, car elle conditionne la faisabilité économique du projet dès la négociation foncière.

Réduction : Sur les espaces aménagés, nous mettons en place des mesures techniques pour limiter les impacts résiduels : chantier propre, gestion des eaux pluviales par noues enherbées, choix d’essences adaptées et locales, limitation des nuisances lumineuses, intégration paysagère cohérente. Ces mesures nécessitent souvent un dialogue exigeant entre paysagistes et écologues, qui n’ont pas toujours les mêmes référentiels. Nous travaillons à concilier approche paysagère et exigences écologiques.

Compensation : Lorsque des impacts ne peuvent être ni évités ni réduits, nous mettons en place des mesures compensatoires. Nous privilégions la compensation in situ quand elle est possible, mais elle se heurte souvent à des contraintes techniques et à une faible acceptabilité par les services de l’État. La compensation ex situ, quant à elle, pose d’autres difficultés : proximité exigée avec le site d’impact, rareté du foncier, et surtout la problématique du suivi sur 30 à 50 ans, que les opérateurs privés comme nous ne peuvent assumer seuls.

Nous avons expérimenté différentes solutions : compensation par l’offre de la CDC Biodiversité, sanctuarisation de foncier que nous possédons déjà, partenariats avec la Chambre d’agriculture et des exploitants locaux (par exemple à Bazas, via une gestion agro-écologique de prairies), ou recours ponctuel à des syndicats de rivière. En revanche, nos expériences avec certains opérateurs de compensation ont montré leurs limites.

La question du suivi et de la responsabilité est probablement la plus grande faiblesse du système actuel. Les aménageurs comme nous ne peuvent raisonnablement garantir des résultats écologiques sur cinquante ans, alors même que nos projets sont souvent revendus à des industriels ou transférés à des ASL ou des collectivités. Nous assurons le financement et le suivi des premières années, mais il manque aujourd’hui de véritables opérateurs de long terme. À défaut, nous plaidons pour la création d’un fonds public de compensation, qui sécuriserait les engagements pris et permettrait d’assurer un suivi durable.

Enfin, la qualité de la séquence ERC dépend aussi de la fiabilité des bureaux d’études choisis. Nous privilégions des partenaires expérimentés comme Simethis et Cerag, capables d’allier rigueur scientifique et accompagnement opérationnel. Par ailleurs, nous regrettons la disparition progressive de la concertation préalable avec la DREAL et la DDTM, pourtant prévue par la loi. Ce dialogue en amont permettait de sécuriser les choix méthodologiques et de réduire les incompréhensions en cours d’instruction.

En résumé, la séquence ERC est pour nous un processus exigeant, mais structurant. Elle implique d’anticiper très tôt, de travailler avec les bons partenaires, d’accepter des coûts significatifs avant même l’autorisation administrative, et de repenser nos projets pour concilier performance économique et respect de la biodiversité.

Illustration d'un chêne par le Groupe Cassous

Un exemple marquant est le projet d’une zone industrielle mené à Bazas, sur 7 hectares. Nous avons pu éviter 3 hectares comprenant des zones humides (un milieu que nous évitons de manière “presque” systématique ou alors lorsque l’on ne peut pas faire autrement sur des petites zones limitées) et un corridor écologique, puis mettre en place une compensation innovante sur des prairies locales. Avec l’appui de la Chambre d’agriculture et d’un éleveur de brebis, nous avons défini un nouveau mode de gestion agroécologique (réduction du cheptel, plantations adaptées), garantissant à la fois la viabilité économique de l’exploitant et la préservation des habitats d’espèces protégées.

Cet exemple illustre l’importance du partenariat local et du dialogue entre aménageurs, agriculteurs, collectivités locales et services de l’État. Il montre aussi que la réussite d’une compensation repose sur un suivi de terrain exigeant et une ingénierie adaptée.

Les principaux leviers sont :

  • Anticiper très en amont les enjeux écologiques, avant même les acquisitions foncières.
  • Travailler avec des bureaux d’études fiables et expérimentés, capables de poser un diagnostic solide et partagé.
  • Favoriser l’évitement et la réduction : la compensation ex situ est complexe, coûteuse, et encore insuffisamment encadrée ou suivie.
  • Développer des opérateurs de compensation compétents et pérennes, capables d’assurer la gestion sur plusieurs décennies.
  • Améliorer la concertation préalable avec les services de l’État, qui tend à disparaître alors même qu’elle est prévue par la réglementation.

La communauté ERC Nouvelle-Aquitaine est un espace précieux de dialogue entre porteurs de projets, bureaux d’études, associations, collectivités et services de l’État. Elle permet de partager des retours d’expérience, de confronter les points de vue, et de mieux comprendre les attentes réglementaires.

Pour un groupe privé comme le nôtre, cette mise en réseau est essentielle : elle nous aide à nous améliorer continuellement et à inscrire nos projets dans une dynamique collective régionale.

Créée il y a plus de 20 ans, la Fondation Cassous, placée sous l’égide de la Fondation de France, agit dans trois domaines : l’environnement, l’insertion sociale et la solidarité.

Sur l’axe environnemental, elle a soutenu de nombreux projets d’agriculture urbaine (jardins partagés, AMAP), la préservation de variétés anciennes, ou encore des initiatives comme The Ocean Cleanup et Zéro Déchet.

Fidèle à son ancrage territorial, la Fondation privilégie les associations locales et les projets parrainés par les salariés du groupe. Elle agit souvent discrètement, mais toujours avec le souci de soutenir des initiatives qui ont un impact concret et durable.

La Fondation Cassous ne finance pas de projets immobiliers ou réglementaires, afin d’éviter tout conflit d’intérêts et rester une fondation dite “philanthropique”.

En revanche, des complémentarités existent : le mécénat peut soutenir des initiatives de sensibilisation, de recherche, ou d’agriculture durable qui, indirectement, contribuent à améliorer la prise en compte de la biodiversité dans les territoires.

En ce sens, le mécénat environnemental constitue un levier d’innovation et de diffusion de bonnes pratiques, en parallèle des exigences réglementaires de l’ERC.