Question : Pouvez-vous nous parler de votre rôle au sein de l’Agglomération de La Rochelle et de votre parcours professionnel qui vous a amené à travailler sur des questions environnementales comme la séquence “Éviter, Réduire, Compenser” ?
Réponse : Concernant mon parcours professionnel, je suis chargé de mission Biodiversité à la Communauté d’Agglomération de la Rochelle au sein du service transition énergétique et résilience écologique. J’ai commencé cette mission il y a une vingtaine d’années, j’étais recruté en 1999, à l’époque pour la mise en place d’une charte pour l’environnement, complété d’un plan d’action orchestré et financé à l’époque par la DIREN. Mes missions principales incluent la supervision de projets en lien avec la transition écologique et le développement durable, en particulier dans le cadre des initiatives de la séquence ERC (Éviter, Réduire, Compenser). Je travaille étroitement avec divers partenaires locaux pour intégrer des solutions innovantes, comme la compensation écologique sur des sites dédiés, notamment pour des espèces protégées ou des habitats sensibles comme les zones humides. Mon rôle s’étend également à la collaboration avec des acteurs publics et privés pour optimiser les actions de préservation environnementale. À l’époque, l’équipe en charge des questions environnementales était restreinte, mais elle a pris de l’ampleur au fil des ans avec la création d’une direction transition énergétique et résilience écologique de 15 personnes, permettant notamment de structurer une politique de préservation des écosystèmes, d’aménagement durable et de réduction des impacts sur les zones sensibles, comme peuvent l’être les 70 km de côtes rochelaises ou les zones humides. Nous travaillons également sur des projets novateurs, comme les parcs d’activités qui intègrent des espaces de biodiversité pour les pollinisateurs, des zones humides protégées, et des espaces verts permettant de maintenir la diversité écologique en milieu urbain sur des projets d’habitat (écoquartier de Bongraine par exemple).
Question : Quelles sont, selon vous, les grandes priorités actuelles en matière d’aménagement du territoire…
Réponse : L’Agglomération privilégie un développement du territoire respectueux de la biodiversité et des ressources naturelles, en intégrant l’aménagement durable comme outil de transition écologique. Cet équilibre vise à répondre aux besoins de logement, de mobilité et de préservation des espaces naturels.
Notre collectivité possède des compétences en planification urbaine et aménagement du territoire, incluant l’élaboration du plan local d’urbanisme intercommunal, l’identification des zones d’habitat d’intérêt communautaire, et l’aménagement des parcs d’activités. D’autres services (déchets, développement économique, assainissement) contribuent aussi à l’aménagement, avec un impact potentiel sur la biodiversité et l’environnement. Cependant, la gestion des espaces naturels ne relève pas de nos compétences directes. Notre service évalue les impacts environnementaux et émet des recommandations techniques ; actuellement, nous traitons plusieurs dossiers de dérogation pour impacts sur les espèces et habitats protégés et zones humides.
Nous cherchons à anticiper ces impacts en travaillant en amont des projets. Cette démarche itérative vise à enrichir nos connaissances afin d’éviter autant que possible le recours aux dérogations. Dans ce cadre, nous avons répondu à un appel à projets pour un « Atlas de la Biodiversité communale » à l’échelle intercommunale, qui comprend un volet de sensibilisation des techniciens et élus.
Par exemple, dans l’écoquartier de Bongraine, nous avons intégré des mesures pour réduire les émissions de carbone en utilisant des matériaux de construction écologiques et des techniques d’isolation naturelle. Les mesures de compensation pour ce quartier ont été présentées dans les deux fiches retours d’expériences co-écrites avec la communauté ERC. En parallèle, le territoire est concerné par environ 6 000 hectares d’espaces naturels reconnus (2 Réserves Naturelles Nationales, sites Natura 2000…) considérés comme à préserver ou à enjeux ; incluant des zones humides et des pelouses sèches, ou des marais. Des milieux qui abritent des espèces protégées, dont l’Azuré du serpolet ou l’Odontite de Jaubert par exemple. Enfin, notre priorité est de lutter contre l’artificialisation des sols avec le concept de zéro artificialisation nette (ZAN), pour protéger les milieux naturels tout en répondant aux besoins de développement d’un territoire très dynamique, en privilégiant des formes d’urbanisation et de densification adaptées.
Question : Comment la séquence ERC, est-elle intégrée dans les projets d’aménagement de l’Agglomération de La Rochelle, et quels sont les exemples concrets de projets où cette stratégie a été appliquée ?
Réponse : La séquence ERC (Éviter, Réduire, Compenser), est désormais une approche clé dans nos projets portés par l’Agglo. Elle est au cœur de chaque projet d’aménagement tout d’abord par sa portée règlementaire, mais aussi pour éviter des erreurs ou oublis dans toutes les phases des projets de la conception à l’exploitation. Par exemple, au cours de la première étape de dépôt du dossier d’autorisation portant l’écoquartier de Bongraine : l’autorité environnementale avait été critique sur la qualité et l’appréciation de certains enjeux qui n’avaient pas été identifiés auparavant (avant le début du projet). Il y avait par exemple des difficultés d’appréciation d’habitat d’espèces à statut de protection (Azuré du serpolet et l’Origan) et une nouvelle espèce protégée découverte avant le début des travaux et après l’obtention des autorisations nécessitant une adaptation et des mesures compensatoires significatives.
De façon correctrice, la collectivité a rebondi en se donnant des moyens pour répondre aux enjeux et demandes de l’autorité environnementale et pour évaluer les enjeux de manière plus précise : notamment en recrutant un écologue, en passant par une adhésion au conservatoire botanique sur le volet flore, et par une contractualisation avec la LPO et Nature-Environnement 17 sur le volet faune et notamment sur l’avifaune (suivis des oiseaux de plaine agricole, amélioration des connaissances de l’Azuré du serpolet…).
Dans la phase d’évitement, nous cherchons à préserver les habitats naturels existants, notamment en adaptant certains projets pour épargner certaines zones.
Le Conservatoire, la LPO, nos bureaux d’études missionnés abondent un état de connaissances sur l’ensemble du territoire de l’Agglomération pour essayer d’avoir la vision la plus transversale et complète des enjeux. De plus, en parallèle certains inventaires sont réalisés dans le cadre de l’amélioration des connaissances en lien avec l’état initial de l’environnement du PLUI. On retrouve par exemple les inventaires de milieux comme l’inventaire des zones humides qui a été intégrer au PLUI également. Le but de cela étant d’obtenir une base de connaissances actualisée sur le territoire de l’agglomération pour attirer l’attention des élus au moment de prévoir les projets dans les phases les plus en amont possible et de pouvoir les orienter au mieux en fonction des connaissances acquises par la collectivité.
Aujourd’hui, nous avons quatre opérations qui ont fait l’objet d’un dossier de dérogation avec « avis favorable ». Nous disposons également d’un portefeuille d’une trentaine de projets en perspective. La question que nous avons posée et que nous nous posons ouvertement est de savoir si nous serons en mesure de mener à bien ces projets, compte tenu des enjeux écologiques auxquels nous faisons face, et si, en matière d’éventuel besoin de compensation, nous aurions la capacité d’y répondre.
L’Agglo a engagé une stratégie foncière, comprenant un volet agricole, notamment en lien avec la compensation agricole, et il y a un volet biodiversité, en lien avec la compensation environnementale qui nécessite de trouver des surfaces disponibles et du foncier accessible.
Et sur cette cible « compensation environnementale », ce dont je m’occupe, c’est d’identifier sur les secteurs ouverts au PLUI pour des projets d’aménagement : une zone AU (à urbaniser), une zone UX pour de l’activité, une infrastructure ou un espace réservé. Il s’agit d’estimer, par état de connaissance bibliographique, et cartographique tous les enjeux de biodiversité qu’on avait, et d’estimer un besoin compensatoire par rapport à ces impacts de surface. On a mené donc cette étude qui va nous donner des grosses enveloppes avec une typologie d’habitat, que l’on a décliné sur l’habitat agricole, l’habitat pelouse sèche, de zones humides etc. Après cette étude des besoins de compensation, on dispose d’une idée des surfaces nécessaires que l’on complète par des études complémentaires pour obtenir des ilots significatifs potentiellement favorables à la biodiversité, et qui pourraient être ciblées pour la compensation des projets de la collectivité en particulier et potentiellement fermés à l’urbanisation dans les documents d’urbanismes en lien avec les évolutions règlementaires comme celles de la loi ZAN.
Question : Quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans la mise en œuvre de la phase “Éviter” des impacts environnementaux ? Existe-t-il des exemples où cette étape a conduit à des modifications importantes des projets initiaux ?
Réponse : C’est un vrai défi, car l’évitement présente des modifications significatives, notamment la nécessité de repenser des projets qui peuvent être très avancés opérationnellement parlant : notamment lorsque l’on ne dispose pas d’un état de connaissance suffisant au départ.
Par exemple, nous avions initialement prévu une infrastructure routière ou la construction d’une zone d’activité traversant/sur des habitats importants pour la faune locale, comme dans des zones de friches abritant des insectes rares et des oiseaux nicheurs. Face à l’enjeu de préserver ces habitats, nous avons choisi de détourner le tracé ou modifier l’emprise du projet, ce qui a engendré des coûts et un délai supplémentaire, mais a permis de sauvegarder ces habitats d’espèces. Ce type de décision est complexe, car il implique de revoir la planification initiale (opérationnelle et politique), mais il est fondamental pour limiter notre impact sur les écosystèmes locaux. A cela se rajoute les questionnements sur le foncier disponible pour la collectivité et le zéro artificialisation nette sur un territoire très contraint.
Question : Dans la phase de réduction des impacts, quelles techniques ou approches innovantes avez-vous mis en place pour limiter les effets des projets d’infrastructure sur la biodiversité locale ?
Réponse : Pour la réduction des impacts, nous mettons en place plusieurs approches. Ces approches sont concertées avec les acteurs du projet, et certains partenaires ou collègues d’autres collectivités sur lesquels nous prenons exemple (comme les collègues Bordelais par exemple). Sur tous les projets qu’on porte, à chaque projet, on essaie d’optimiser la séquence d’évitement et de réduction pour faire en sorte qu’il y ait un minimum d’impact résiduel.
Néanmoins, une fois qu’on est en phase opérationnelle, pour les mesures de réduction d’impact, on s’associe ou on missionne un « coordinateur environnemental « : c’est une mission particulière prise en charge par la collectivité avec un cahier des charges. Sur ce dernier, il y a un certain nombre d’actions prescrites : de la sensibilisation de tous les acteurs en phase chantier à la vérification des mesures projetées pour avoir une forme de qualité des opérations, et une prise en compte des recommandations des services instructeurs, des partenaires et des études préalables.
On lui demande d’avoir une présence physique assez régulière, d’être aussi en interface entre l’ensemble des parties prenantes sur les sites : la présence physique et la surveillance du coordinateur environnemental permet aussi d’avoir une réactivité sur nos projets, et d’être force de proposition sur des actions auxquels on ne peut pas penser en phase de réflexion sur les projets. Je ne suis pas sûr que ce soit un caractère très innovant, mais néanmoins on se donne les moyens sur nos opérations de financer ce coordinateur et les études nécessaires à l’atténuation maximale des impacts. Peut-être ce qui peut être éventuellement innovant, c’est le rapport historique et culturel qu’on a avec nos associations de protection de l’environnement (Nature Environnement 17 et la LPO). C’est-à-dire qu’on travaille avec elles depuis longtemps, on a également développé des rapports de confiance permettant de capitaliser de la donnée, et aussi nous les avons missionnés sur certains secteurs à enjeux, ce qui va nous permettre d’optimiser l’état de connaissance. Je vais donner un exemple, sur des secteurs de projet définis et soumi à procédure d’examen au cas par cas nous les avons missionnés pour l’analyse des enjeux écologiques. à partir de la base de données naturalistes actualisée dont ils disposent.
Là où il y a peut-être quelque chose d’un peu plus innovant, pour nos études qui nécessitent des inventaires naturalistes, sur les cahiers des charges, on fait rajouter un paragraphe sur lequel on demande de renseigner les données naturalistes avec un format SINP, avec le bon référentiel en CC46 et en Lambert 93, qui fait qu’on puisse les intégrer directement dans notre outil SIG (la base de données de la collectivité). C’est une culture de méthodes et de fonctionnement interne pour notre collectivité plus qu’un caractère innovant permettant de faciliter l’agrégation de l’ensemble des données produites pour l’ensemble des services de la collectivité.
Question : Pouvez-vous nous parler des sites de compensation qui ont été développés dans le cadre de la séquence ERC à La Rochelle ? Comment ces sites sont-ils gérés sur le long terme pour garantir une réelle compensation des impacts environnementaux ?
Réponse : Concrètement, les sites de compensation sont gérés de manière à offrir des habitats favorables au développement et maintien dans le temps des espèces impactées. Nous collaborons avec des bureaux d’études, le Conservatoire Botanique, NE17 et la LPO, pour définir des protocoles de suivi. Par exemple dans le cas de l’Azuré du serpolet, et de l’Odontite de Jaubert, espèces protégées, on essaie de conserver les mêmes naturalistes qui ont déjà accompagné les projets.
Les suivis des sites de compensation incluent des relevés annuels et des rapports remis à la DREAL Nouvelle-Aquitaine en l’occurrence. Ce suivi rigoureux permet de vérifier l’efficacité des mesures de compensation et d’ajuster les pratiques en cas de besoin, en intégrant notamment des mesures de gestion adaptatives pour s’assurer que les milieux restent favorables aux espèces ciblées. Ludovic Lucas, écologue au sein de l’Agglo les réalisent en fonction des compétences nécessaires et du plan du plan de charge, sinon ils mandatent les bureaux d’études associés au projet.
Question : Quels sont les indicateurs ou critères de succès que vous utilisez pour évaluer l’efficacité des mesures de compensation mises en place dans le cadre de la séquence ERC ?
Réponse : Nos critères d’évaluation de la compensation se basent sur des indicateurs clés comme la densité de populations d’espèces cibles et l’état des habitats compensatoires. Dans la zone de compensation de la Plaine de Périgny, nous suivons par exemple la population de Buse variable et d’autres espèces d’oiseaux de plaine. Ces relevés permettent de mesurer la réponse des populations à la compensation. Nous utilisons également des indicateurs spécifiques aux milieux aquatiques dans les zones humides recréées, où la présence de certaines espèces de libellules et d’amphibiens est un signe de bonne qualité environnementale. Ces indicateurs sont essentiels pour évaluer l’adéquation de nos mesures et leur capacité à maintenir ou augmenter la biodiversité.
Question : Comment impliquez-vous les citoyens et les parties prenantes locales dans les projets d’aménagement respectant la séquence ERC, et comment leur retour influence-t-il la prise de décision ?
Réponse : L’Agglomération s’appuie sur une approche participative pour assurer l’adhésion de la population à certains projets, c’est le cas des projets d’aménagement de l’Ecoquartier de Bongraine et d’autres projets. Nous organisons également des visites et des sorties nature pour les habitants et futurs résidents des éco-quartiers, comme celui de Bongraine. Ce dialogue nous permet de mieux comprendre les attentes locales et d’intégrer des éléments de préservation ou des infrastructures vertes supplémentaires. Par exemple, des riverains ont suggéré d’installer des panneaux éducatifs dans certaines zones naturelles pour sensibiliser les usagers, une initiative que nous envisageons de mettre en œuvre.
Par exemple dans le cadre du pôle multimodal de la gare de La Rochelle, les citoyens ont été impliqués dès les premières phases, ce qui a permis de préserver un boisement qui devait être directement impacté par une voie de bus. Ce boisement abritant des gîtes de chauves-souris a interpellé la population qui s’opposait à sa destruction. La position de la population locale a permis de préserver ce boisement dans son intégralité et a permis l’évitement total pour ce boisement.